Le ciel matinal croulait sous l’invasion de nuages menaçants
qui, pareils à des bataillons de soldats, déversaient une pluie de munitions
sur un ennemi invisible. Au loin les éclairs pourfendaient leurs lignes avec
violence, comme pour répondre à ces assauts répétés. Le tonnerre hurlait
rageusement, toujours plus fort, comme pour affirmer sa domination et
épouvanter les passants qui fuyaient avec pagaille vers de nouveaux abris tels
les soldats en déroute après qu’on eut sonné la retraite. Il semblait que les
éléments s’échinaient à rappeler à ces hommes et à ces femmes ô combien ils
étaient insignifiants à leur côté. Et les vents tourbillonnant pareils à des
murmures tantôt plaintifs, tantôt mugissants mais toujours glaçants d’effroi
semblaient appuyer leurs efforts. Les
ténèbres avaient tellement assombri le ciel que l’on aurait pu croire qu’il sombrait
dans une nuit sans fin. Elles semblaient amorcer le règne tyrannique d’un chaos
destructeur, dirigeant d’une main de fer cette symphonie jouée par des éléments
fulminant d’une rage inouïe.
Des tréfonds de ces ténèbres jaillit une faible lueur,
bravant courageusement cette furie destructrice alors qu’elle essuyait de plein
fouet le feu ennemi. Le véhicule s’arrêta net devant un immeuble de style
haussmanien. Son conducteur fixait l’horizon d’un air maussade et absent, comme
s’il subissait la morsure de la mélancolie presque tragique de cette averse.
Mais peut-être rassemblait-il simplement son courage en vue d’affronter le
déluge ? Armé d’un seul parapluie, le jeune-homme descendit du véhicule.
Les fortes bourrasques malmenaient ce bouclier de fortune, le froissant tel un
journal, jusqu’à ce que le jeune homme se trouve sous les arbres qui bordaient
le trottoir. Au coin de la rue apparut une silhouette vêtue de blanc, qu’il ne
put s’empêcher de remarquer. L’eau sur ses lunettes l’empêchait de distinguer
clairement son visage, mais il lui semblait que c’était une jeune femme. Elle courait
péniblement alors que ses vêtements trempés lui collaient au corps, pareils à
une seconde peau de soie. Épousant ses formes harmonieuses, mais n’altérant en
rien son élégance naturelle. La pluie ruisselait sur son visage fin, créant l’illusion
qu’elle fondait en larmes. Un visage qui
lui apparût comme familier lorsqu’il put enfin le distinguer. Il y avait
quelques chose d'à la fois touchant et déchirant dans sa détresse que le jeune homme ne pouvait ignorer. Aussi il ne put s’empêcher
de courir vers celle qu’il identifia comme une voisine. Elle accueillit avec
joie sa proposition de l’abriter jusqu’à leur immeuble. Des frissons
parcouraient ses membres délicats, mais elle n’était pas à son aise d’apparaître
au jeune homme en étant aussi vulnérable. Ils échangèrent quelques banalités
avant d’entrer dans leur immeuble, mais arrivés au moment où chacun devait
partir, il sembla à la jeune femme qu’il aurait voulu rester un peu plus
longtemps en sa compagnie. Et à sa grande surprise, cette idée n’avait rien de
déplaisant à ses yeux.
Nul ne saurait dire combien de temps s’écoulait, alors que les
deux jeunes gens se regardaient sans rien dire. Un curieux mélange de gêne, de
tendresse et d’impatience se lisait dans les yeux de Laetitia, alors que le
regard d’Alexandre semblait lointain. Le temps semblait suspendu aux lèvres de
la jeune fille qui s’entrouvrirent presque mécaniquement pour articuler quelques
choses. Il semblait qu’ils étaient seuls
au monde en cet instant. Pas un bruit, pas même le tonnerre grondant au dehors
n’aurait osé rompre ce silence presque religieux.
- Avez-vous déjeuné ? finit-elle par lui demander d’une voix masquant avec peine sa timidité face au jeune homme. Elle le trouvait plaisant et agréable, aussi nourrissait-elle quelque espoir envers une réponse positive à son invitation. Le visage d’Alexandre devint blême. Derrière lui, la porte s’ouvrait sur une jeune femme qui s’avança vers lui. La gorge de Laetitia se noua alors que cette dernière lui prenait le bras. Le jeune homme n'était guère plus à l'aise: ses yeux fuyaient son regard, fixant le sol comme pris de léthargie. Les quelques mots prononcés par cette inconnue restèrent orphelin. Laetitia, assourdie par son cri intérieur déchirant, les regardait péniblement regagner leur appartement comme s’ils étaient amants. Sa vision se troublait alors qu'ils s'éloignaient. Une larme tomba sur le tapis du couloir qui l’avala aussitôt.
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